Du MM T 2547, L’arbre de la connaissance en bien et en mal

MM T 2547. Carnet de croquis. 1930–1935.

fol. 0, A1

Le baiser
Deux lèvres brûlantes contre les miennes
Le ciel et la terre cessèrent d’exister
Et deux yeux noirs se plongèrent
Dans les miens


fol. 0, A3

L’Arbre de la connaissance
En
Bien et en mal


fol. 0, A5

La terre aspirait à la venue de l’air
L’air se fit eau et terre et la terre se fit air
J’ai rêvé la nuit :
Un cercueil sur une hauteur – dedans un cadavre
Une mère sonnant une grande cloche
Alors le chant de la mère se perdait
dans le paysdes cristaux
Une série d’hommes et de femmes
marchait en dessous et le reprenait
Entrait maintenant dans le pays des cristaux
Le ciel s’ouvrait et brillait – Un grand
Pays de cristaux s’ouvrait avec toutes
les couleurs de l’arc en ciel jouant contre
le diamant des cristaux petits et grands
Certains formaient les autres arbres du château


fol. 0, A7

L’air avait rongé la terre
La terre transpirait une substance visqueuse
qui se transforma en hommes, en animaux et en plantes
L’eau s’évapora et devint nuage
Les nuages tombèrent en pluie
Les hommes les animaux et les arbres
sont des flammes qui jaillissent de la terre


fol. 4, A9

Il faisait sombre et gris
Descendant l’escalier le garçon qui
la tenait par la main
ne pouvait pas descendre assez vite
Pourquoi marches-tu si lentement ?
demanda-t-il
Elle s’arrêtait à chaque pas
pour reprendre sa respiration
Au dehors du portail la lumière l’aveuglait
Elle portait un chapeau de couleur lilas pâle
de longs rubans voletaient
à chaque souffle de vent
L‘air était si étrangement
lourd avec des bouffées de fraicheur
l’herbe apparaissait entre les pavés – une herbe vert pâle
C’était le printemps


La terre était en flammes


fol. 4, A13

La terre jetait des flammes
Jusqu’à la périphérie de l’univers
Les flammes s’éteignirent et redevinrent cendres
Les yeux que je voyais – bleus et brillants
sombres aux ardents reflets
interrogateurs
en quête de réponse
avides
trompeurs
Essayaient-ils d’atteindre la périphérie
détachée de la terre – les êtres humains
pour retomber
et mêler leurs cendres à notre mère la terre
Pourquoi ? Vers où ?
Ils s’élevaient poussés par la nécessité du désir et tombaient
étincelles et flammes dans l’obscurité de la nuit
Dieu est dans tout
Tout est en nous
Frères dans le grand jeu de la vie !
Le jeu est délibéré risqué et accompli
pour à nouveau vouloir et risquer et mourir


fol. 4, A17

Nous ne mourons pas
C’est le monde qui nous quitte


fol. 4, A19

Rien n’est petit, rien n’est grand


fol. 4, A20

Le bonheur est l’ami du chagrin
Le printemps est l’annonciateur de l’automne
La mort est la naissance de la vie


fol. 4, A21

La fontaine
Un oiseau de proie est resté bloqué
dans mes entrailles
Ses griffes se sont agrippées à
mon cœur son bec s’est
enfoncé dans ma poitrine
et ses ailes ont obscurci mon esprit


fol. 4, A23

Le sang déferlait en lui et une diabolique
boisson faite du sang de la plante le vin –
se mélangea au
poison de la femme-vampyre
C’était une brûlante
boisson dans la machinerie
du cerveau Le tissu cellulaire se dilatait grâce à
cette décoction Sur le tissu cellulaire dilaté se
grava une diabolique écriture comme
sur un phonographe
Le tissu cellulaire qui était dilaté
comme un ballon gonflé au maximum
se recroquevillait comme une feuille fanée
pour être à nouveau bouilli et se dilater
et crier comme dans un chœur infernal –
Une crémation de tous les cadavres de la plante –
Le tabac envoyait ses effluves anesthésiantes et
pestiférées de cendres dans
les labyrinthes et les cavités du crâne
Il vit une multitude de visages tournés vers lui
qui le fixaient
Anéanti il gisait dans la rue
brandissant en l’air un bras rouge de sang


fol. 4, A25

Les notes d’un dément
L’homme et ses cercles
En haut la périphérie rejoint
les oscillations de l’éther
et en bas celles de la terre


fol. 5, A31

Rien n’est petit rien n’est grand –
Les mondes sont en nous – Ce qui est petit
se dissout dans ce qui est grand
Ce qui est grand dans ce qui est petit –
Une goutte de sang un monde de
systèmes solaires et de planètes –
La mer une goutte une petite partie
d’un corps –
Dieu est en nous et nous sommes en Dieu –
La lumière originelle est partout et là où se trouve la vie –
Tout est mouvement et lumière –
Les cristaux naissent et se forment
comme des enfants dans le sein de leur mère –
Même dans la dure pierre
brûle le feu de la vie –
La mort est le commencement de la vie –
Vers une nouvelle cristallisation
Nous ne mourons pas, c’est le monde qui nous quitte
La mort est l’amour de la vie la douleur est
l’amie de la joie –
A une femme
Je suis comme un somnambule
qui se promène sur le faîte d’une toiture Ne me réveille pas
brutalement ou alors je vais tomber
et me briser


fol. 5, A32

Je marchais le long du sentier
avec deux amis alors
le soleil se coucha
Le ciel devint brusquement
du sang et je ressentis
ce grand cri
dans la nature


fol. 5, A33

Mon âme est comme deux
oiseaux sauvages en lutte
Chacun tire dans sa direction


fol. 17, A27

La terre fit l’amour avec l’air
L’air la rongea et la terre
devint air et l’air devint terre
Les arbres étendirent leurs branches
vers le ciel et avalèrent l’air
Les arbres se détachèrent de
la terre et devinrent des humains
Tout est vie et mouvement
même à l’intérieur de la terre
existent des étincelles de vie

Les millénaires passèrent
Une souffrance naquit d’ un peu d’espoir
Un petit sourire et l’espoir s’évanouit
Le sourire s’effaça
Et les générations piétinèrent les générations


fol. 17, A28

C’était une grande pente
couverte d’herbe verte et tout en haut –
vers le ciel il y avait la forêt –
Des vaches et des moutons y paissaient
et l’on entendait le bruit des clochettes
Par-dessus le ciel était bleu
avec des nuages blancs
L‘herbe dans la vallée était
si verte
là en bas des gens étaient en train de faner


fol. 17, A29

L’être humain et ses trois centres d’énergie
Les oscillations de l’éther
Le cerveau
Le cœur
Les instincts
Les oscillations terrestres


fol. 25r, A35

Le silence quand le monde entier a arrêté
sa course
Ton visage contient toute la beauté
de la terre
Tes lèvres rouge carmin comme
un fruit mûrissant s’entrouvrent
comme par douleur
Le sourire d’un cadavre
Alors la vie tend la main
à la mort
Les chaines se nouent
entre les milliers de générations disparues
et les milliers de générations à venir

fol. 27r, A37

Quand tu m’as quitté pour traverser la mer
C’était comme si
Des fils ténus nous reliaient
encore et cela faisait mal comme
dans une plaie


fol. 46r, A45

Quand nous étions face à face
et tes yeux
étaient plongés
dans mes yeux j’ai alors senti
comme si d’invisibles
fils partaient
de tes yeux jusque
dans mes yeux et
reliaient nos coeurs
l’un à l’autre


fol. 48r, A39

L’urne
La renaissance
Des immondices surgit un visage
plein de tristesse et de beauté


fol. 60, A41

Je vois tous les êtres humains
derrière leurs masques
Les visages calmes et souriants
de pâles cadavres qui
affairés se hâtent sur
une route tortueuse dont la fin
est la tombe


fol. 60, A43

Un regard mystérieux celui du jaloux
Dans ces deux yeux perçants
sont concentrés comme
dans un cristal beaucoup
De nombreux reflets – Le regard
est scrutateur attentif
haineux et amoureux
de son essence à elle
qu’ils ont tous en commun


fol. 60, A47

Les destinées de l’homme
sont comme celles des planètes
Elles se rencontrent dans l’espace pour
à nouveau disparaître
Elles sont rares celles qui fusionnent
En une flamme brillante


fol. 61, A51

Je sentais que notre amour
gisait sur la terre
comme un tas de cendre


fol. 65, A52

Le clair de lune glisse sur ton visage
plein de toute la beauté du monde
et de souffrance
Tes lèvres sont comme deux rubis rouges –
et pleines de sang comme
un fruit rouge carmin
Elles s‘entrouvrent comme par douleur
Un sourire de cadavre – C’est pourquoi
la chaîne se referme qui relie génération
après génération –
Comme un corps glisse dans
un grand océan – sur de longues vagues qui
changent de couleur du violet profond
au rouge sang