Du MM UT 13. « La genèse de la Frise de la vie »
Du MM UT 13. Texte publié. Daté de 1928 (?). « La genèse de la Frise de la vie »
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St. Cloud 1889
Danseuse espagnole – 1fr. –Je me décide à entrer.
C´était une longue salle pourvue d´un balcon de chaque côté. Sous les balcons les gens étaient assis à des tables rondes, en train de boire. Au milieu on restait debout, haut-de-forme contre haut-de-forme – quelques chapeaux de femmes ça et là.
Au fond au dessus des haut-de-forme, dans le gris-bleu de la fumée, une petite dame en tricot mauve se balançait sur une corde.
Je m´avançai nonchalamment entre les gens debout.
Je cherchai un joli minois – non – si, en voilà un qui n´était pas mal.
Quand elle croisa mon regard son visage devint un masque figé, les yeux fixes.
Je trouvai un siège et m´y laissai tomber – fatigué, le corps lourd.
On applaudit. La danseuse en mauve salua en souriant et disparut.
Ce fut alors le tour de chanteurs roumains. Ils chantaient l´amour, la haine, la langueur et la réconciliation – et
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de beaux rêves – et la douce musique se fondait dans les couleurs. Toutes ces couleurs – les décors avec le vert des palmiers et le gris-bleu de l´eau – les couleurs criardes des costumes – dans la fumée gris-bleu.
La musique et les couleurs occupèrent mes pensées. Elles suivaient les volutes légères et étaient emportées par la douceur des sons dans un monde de rêves heureux.
J´allais accomplir quelque chose – je sentais que cela serait si facile – j´allais former de mes mains comme par un tour de prestidigitateur.
Alors ils allaient voir.
Un bras nu et puissant – une nuque brune et forte – une jeune femme pose sa tëte contre la poitrine rebondie –
Elle ferme les yeux et écoute, les lèvres entr´ouvertes et tremblantes les mots qu´il murmure dans sa longue chevelure déployée.
J´allais leur donner forme tels que je les voyais à présent à travers un brouillard bleuté –
En cet instant où ils n´étaient plus eux-mêmes mais seulement un maillon d´une chaîne qui rattachait les générations les unes aux autres.
On comprendra alors ce qu´il y a de sacré et d´imposant dans le motif et l´on se découvrira devant comme dans une église.
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J´allais composer toute une série de semblables peintures.
L´époque des intérieurs avec des gens en train de lire et des femmes en train de tricoter était terminée.
Maintenant il s´agissait d´êtres humains de chair et de sang qui respiraient, en proie à leurs sentiments, au malheur, à l´amour.
Je sentais que j´allais le faire – c´était tellement facile de rendre la chair et de faire vibrer les couleurs.
Il y eut une pause – la musique cessa.
J´étais un peu triste.
Je me rappelai combien de fois auparavant j´avais ressenti la même chose – et la toile une fois terminée les gens souriaient en secouant la tête.
Je me retrouvai dehors sur le Boulevard des Italiens – avec ses lampes électriques blanches et ses becs de gaz jaunes – avec ses milliers de visages étrangers auxquels l’éclairage électrique donnait un aspect de spectre.